Après avoir publié « La France, si je mens », « L’Abbé est mort, vive l’Abbé », « Le Conseiller du Prince, pour un Prince de la paix », l’écrivain Aimé Eyengué fait une escale poétique de qualité. Il nous revient avec son recueil de poèmes « Briseurs de rêves ». Cette merveille est un condensé de ce que l’œil de ce poète observe. C’est avec une plume fluide qu’il s’insurge contre l’état de la société. Il évoque le babillage et l’habillage de notre monde et parle de la bave de ce siècle.
La spirale du mal
Bien entendu, les méfaits du capitalisme sont exposés mais le regard de l’auteur voit également la maladie, le silence des intellectuels, le manque de solidarité et l’apostasie. Il rejette l’argent-roi. La croyance en un Dieu souverain n’empêche pas Aimé Eyengué de faire état des travers des religions qui « décuplent l’écume des transes chez les ouailles de la potence ; qui enseignent mal la prudence aux disciples de la souffrance ». Parfois, tel un rouleau compresseur, la religion se transforme en une « machine à déplumer les anges », affirme-t-il.
Et lorsque l’État ne remplit pas son rôle, cela donne un « État délétère, déluges de galères, lots de misères » où nombreux sont ceux qui s’enrichissent sur le dos du peuple. Ayant l’ego surdimensionné, ils défient les sages, les pensées et les idées « avec des avoirs injustes, l’injustice à la main gauche, le sang dans la droite, la bourse de Judas en prime ». La passivité des autorités face à la déviance homosexuelle l’écœure. Tournant les yeux du côté de Pointe-Noire au Congo, le poète s’attriste : « la plage ponténégrine est vorace, transformant sa côte en Gomorrhe et ses presqu’îles en terre de Lesbos…Les fils de la déraison naissent des nuits ensoleillées, d’une côte sauvage ensorcelée ».
Quand les idées parlent, l’argent se tait
La recherche du gain honteux est mise à nue. Ceux qui rêvent de s’enrichir par tous les moyens tombent dans le sérail de l’opium moderne « par un temps d’illusions maçonniques, plus brumeux que la brume de saison doublée de rêves de loges, de puissance ou de la finance à tout prix ». L’attention du lecteur est aussi attirée sur le fait que notre planète soit en danger, elle va mal. Les ressources naturelles sont mal gérées et peuvent se tarir un jour. La société souffre et le constat est décevant : « moult rêves brisés ». La démocratie est conduite par un personnel politique improductif qui fait son cirque : « la roue du mensonge mobilise, un bloc de gestes pour renards…C’est aussi le taux d’abstention élevé, le rêve en déclin, dans les démocraties à l’emporte-pièce ».
Le dénouement des rêves
L’auteur n’hésite pas à faire un flash-back dans l’histoire pour rendre hommage à un héros et galvaniser l’âme de la résistance au colonisateur. Parlant du Mât Matsoua, il écrit : « Le Mât Matsoua fut une essence ; son rapt tua l’espoir des rêves, scia les mains des braves pour répandre la verve abrasive de l’espoir des forces vives ». La poésie d’Eyengué ne se commande pas, elle a une âme qui a pour demeure la vérité. Elle se caractérise par le fait qu’il dit ce qu’il vit. Il n’obéit à aucun diktat et sonne l’alerte. Cette belle œuvre véhicule une espérance et nous rappelle la pensée de Jean-Baptiste Clément, selon laquelle : « Les mauvais jours finiront ».
« Briseurs de rêves » suivi de « Rêves de Brazzaville »,
d’Aimé Eyengué, poésie, éditions l’Harmattan, 93 pages, 12 euros.